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Manager le sentiment d’auto-efficacité individuelle et collective

Manager le sentiment d'auto-efficacité

Manager le sentiment d’auto-efficacité individuelle et collective

Comment transformer une évaluation de rendement en outil de gestion de la performance efficace? 

Manager la performance de son équipe fait partie des tous premiers objectifs que l’on attend des gestionnaires. Cette activité demande souvent beaucoup d’efforts et d’attention. Car manager, c’est investir une somme d’efforts considérable. Il s’agit en effet de définir, de suivre et d’évaluer les objectifs des personnes qui composent une équipe. Bien qu’indispensable, la période des évaluations de rendement du personnel est l’exemple-type d’une activité qui requiert efforts et préparation. Elle représente dans bien des cas un temps particulièrement chargé pour les gestionnaires.

 

Le management de la performance individuelle au travail

Ce travail très chronophage est souvent peu satisfaisant pour les gestionnaires. Il en est de même pour les personnes qui en font l’objet. En effet, le management de la performance est ingrat. L’évaluation de la performance individuelle est un travail difficile et lourd qui connaît, dans certains cas, peu de succès.

Alors qu’au contraire, il semble parfois que le succès d’un individu ou d’une équipe survient « tout seul ». Il arrive sans que le ou la gestionnaire n’ait finalement rien fait pour! Par exemple, quand le marché est porteur ou le produit est apprécié, l’arsenal des outils de gestion de la performance semble alors quasi inutile. Le ou la gestionnaire ne fait finalement qu’accompagner une tendance à la hausse. Et celle-ci semble alors très bien exister sans son intervention!

 

Regard sur le management en milieu sportif, souvent pris en exemple par les entreprises

L’exemple de l’équipe sportive est ici particulièrement intéressant. Il est certain qu’un bon ou une bonne coach qui dispose d’une bonne équipe a de fortes chances d’obtenir de bonnes performances! Toutefois, on trouve sans difficulté de nombreux  contre-exemples dans les sports d’équipe. On constate que les performances ne sont pas au rendez-vous alors qu’on pensait avoir fait de très bons recrutements et investit dans «des stars».

«Aucune institution ne peut survivre si elle a besoin de génies ou de superman pour la diriger. Elle doit être organisée de manière à vivre sous la direction d’hommes normaux.» Pierre Drucker.

De la même manière, on trouve nombres d’exemples où des coachs, qui ont pourtant une grande expérience et qui ont connu de grands succès, se heurtent à une équipe où ils n’arrivent plus à faire passer leur message. Ce peut être un moment où plusieurs individualités, qui sont en conflit avec leur coach, minent cette autorité dans le groupe. Les performances collectives peuvent alors se dégrader très vite. Et, quelles que soient les actions entreprises pour y remédier, la solution passe par le déploiement d’efforts de redressement considérables.

 

Les limites de l’approche «sanctions-récompenses»

Les recherches en psychologie comportementale ont progressé dans l’explication de ces grandes incertitudes dans le management de la performance des individus et des groupes. En particulier, ces recherches ont démontré les limites de l’approche behavioriste qui est habituellement utilisée dans les entreprises.

Cette approche tente de manager les performances en les définissant au début de l’année. Elle attribue des récompenses si elles sont atteintes et des sanctions ou, au moins, une absence de récompenses, si elles ne sont pas atteintes.

Attention ! Ces recherches en psychologie comportementale ne remettent pas en cause la pertinence des objectifs eux-mêmes. Depuis les travaux fondateurs de Peter Drucker dès 1950, on sait que les objectifs sont extrêmement utiles pour les employé.e.s. Des objectifs clairs et bien définis leur permettent d’avoir une vision claire de ce qui est attendu de leur part. Les employés y retrouvent donc, une bonne représentation du cadre dans lequel ils-elles vont travailler dans l’année à venir. Les objectifs eux-mêmes sont donc nécessaires.

Toutefois, on oublie trop souvent que Peter Drucker avait lui-même souligné dès 1950 qu’un.e employé.e ne peut être responsabilisé.e sur des objectifs que si on lui fournit aussi les moyens et les ressources qui lui sont nécessaires pour les atteindre.

 

Les 2 facette du management par objectifs

Le management par objectifs doit articuler deux facettes : une définition des objectifs et une définition des moyens disponibles pour les atteindre d’une part. Dans beaucoup d’organisations, on constate que cette seconde facette est souvent oubliée ou beaucoup moins travaillée et réfléchie que la première.

D’autre part, les recherches en psychologie comportementale ont montré que faire dépendre les augmentations salariales et/ou les promotions de carrière de l’atteinte de ces objectifs ne permet pas d’inciter efficacement les employé.e.s à atteindre ces performances. Les facteurs sont ici multiples, mais le facteur explicatif majeur tient dans la distinction entre la motivation extrinsèque et intrinsèque.

 

Qu’est-ce que la motivation extrinsèque?

La motivation extrinsèque est recherchée à partir d’éléments externes à l’individu. On met en place des incitatifs afin que l’individu se comporte de telle ou telle manière. Un système de récompenses-sanctions (plus communément connu sous l’expression de carotte-bâton) est de ce type.

Or ces systèmes externes infantilisent les employés. Ils les déresponsabilisent en les refaisant tomber dans un schéma de l’enfance bien connu : « si tu n’es pas sage, tu n’auras pas de dessert ou de jeux vidéo…». Ces systèmes d’incitations externes instrumentalisent aussi les employé.e.s. Ils leur demandent en effet d’adopter un comportement qui n’a pas forcément de sens pour eux.

En conséquence, les travaux récents en psychologie comportementale ont démontré que ces systèmes d’incitation externe augmentent le plus souvent l’intention des employés de quitter leur entreprise pour en trouver une autre qui sera mieux en mesure de leur proposer un travail qui aura du sens et de l’intérêt pour eux.

 

Qu’est-ce que la motivation intrinsèque?

À l’inverse, la motivation intrinsèque s’appuie sur des dynamiques internes à l’individu. Elle élève sa conscience sur la pertinence de tel ou tel objectif, ou sur l’intérêt individuel et/ou collectif de réaliser telle ou telle action. Ces motivations peuvent être de différents ordres, par exemple pour:

Les employé.e.s développent alors leur propre motivation à déployer les efforts requis. Cette motivation qui supporte ses valeurs intrinsèques est par conséquent beaucoup plus intense et beaucoup plus soutenante à atteindre les objectifs qui ont été élaborés avec eux-elles.

Un système de « récompense-sanctions » visant à atteindre des objectifs est donc, le plus souvent, un moyen peu efficace pour un manager de gérer les performances des membres de son équipe.

 

Les apports du concept de «sentiment d’auto-efficacité»

D’autres solutions menant à la performance des individus existent et peuvent être prises en compte par les managers.

Les recherches en psychologie comportementale ont montré que le « sentiment d’auto-efficacité » est l’un des meilleurs prédicteurs de la performance future d’un.e employé.e. Face aux difficultés du management des performances par des systèmes de «récompenses-sanctions», le management du sentiment d’auto-efficacité apparaît comme une solution possible. Bien que délicate, elle est reconnue comme plus efficace que le système «carotte-bâton».

Le concept de « sentiment d’auto-efficacité » a été proposé par Bandura (1) en 1969. Depuis, il a été testé à de très nombreuses reprises et dans de très nombreux contextes. Cette théorie de l’auto-efficacité apparaît comme une manière très efficace de prédire la performance future. Un.e employé.e qui a un fort sentiment d’auto-efficacité dans une des tâches qui lui est confiée, a de très fortes chances d’être finalement performant.e dans cette tâche.

Le sentiment d’auto-efficacité correspond au sentiment que l’employé.e ressent, d’être capable de réaliser efficacement telle ou telle tâche. Bandura le définit comme : «la croyance de l’individu en sa capacité d’organiser et d’exécuter la ligne de conduite requise pour produire des résultats souhaités».

 

Comment se révèle le sentiment d’auto-efficacité chez une personne?

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, lorsqu’on les interroge, les employé.e.s ne déclarent généralement pas qu’ils ou elles pourraient être demain capables de relever n’importe quel défi, devenir expert dans n’importe quel domaine ou trouver autant de contrats de vente qu’ils-elles veulent!

Bien entendu, les employés peuvent parfois surestimer leurs capacités à atteindre un objectif. Et il arrive aussi très souvent qu’ils ou elles sous-estiment leurs propres capacités. En moyenne, il apparaît que le sentiment qu’on a d’être capable de faire quelque chose est un très bon indicateur de la performance future qui sera finalement atteinte.

 

Quels sont les atouts et les limites de ce prédicteur de performance pour les managers?

Imaginons un.e manager qui interroge l’un.e des membres de son équipe sur sa capacité à maîtriser un nouveau langage informatique en moins d’un an. Si cette personne répond positivement, il est fort possible qu’elle puisse se tromper de quelques mois. Toutefois les recherches ont montré que, globalement, lorsqu’elle affirme qu’elle se sent capable d’atteindre cet objectif et qu’elle est prête à ce que ce soit inscrit dans un contrat formel avec son-sa manager, c’est qu’elle dispose de tout un ensemble de repères qui lui permet de faire une estimation réaliste du travail et du délai que cet objectif va lui demander pour être atteint.

Pour l’affirmer, cette personne sait par exemple ce qu’est un langage informatique. Elle en a sans doute déjà appris un ou plusieurs. Elle s’est construit une idée relativement précise du travail que cela demande et du rythme auquel elle va pouvoir réaliser ce travail.

 

Le sentiment d’auto-efficacité peut-il être sur ou sous-évaluté par l’employé.e?

Face à un individu qui, sans aucune expérience de la haute montagne, déclarerait : « demain, je serai au sommet de l’Everest ! », il suffit de quelques questions précises sur la manière dont il va s’y prendre pour atteindre cet objectif pour le faire « redescendre sur terre » et formuler des objectifs réalistes.

Dans la plupart des cas, les employé.e.s déclarent des objectifs qui sont raisonnables compte tenu de leurs compétences actuelles. Par rapport à la distinction proposée ci-dessus entre motivation extrinsèque et intrinsèque, on voit, que manager le «sentiment d’auto-efficacité» présente l’intérêt majeur de co-construire avec l’individu les objectifs qu’il va s’efforcer d’atteindre au cours de l’année.

 

La motivation intrinsèque, une ouverture vers la discussion et la performance!

Le management de ce sentiment permet avant tout d’échapper à la motivation extrinsèque que l’on sait peu efficace pour progresser. Il aide l’individu à évoluer vers une motivation plus intrinsèque où les objectifs ont du sens pour lui puisqu’il a eu la possibilité de les négocier et de les co-construire avec son-sa supérieur.e hiérarchique.

De plus, dans cette négociation, son manager est pleinement responsabilisé. S’il trouve que les objectifs co-construits avec les membres de son équipe ne sont pas assez ambitieux, il reconnaît de facto sa part dans cette négociation insuffisante. Il peut alors prévoir des augmentations de salaire et/ou des promotions limitées rattachés à ces objectifs peu ambitieux.

Comme le concept d’auto-efficacité est ancien, on en connaît bien les différentes dimensions. Le sentiment d’auto-efficacité se construit en effet à partir de trois facteurs qui sont :

  1. Liés à la Personne (P)

Il s’agit là de tous les événements vécus par la personne sur les plans biologique, cognitif, émotionnel et affectif. Ceux-ci sont perçus et interprétés par la personne. Son système de représentation est ici déterminant. Pour un même événement vécu, deux individus peuvent en avoir des interprétations (positives ou négatives, par exemple) très différentes.

  1. Liés aux Comportements (C)

Ils sont relatifs aux actions effectivement réalisées par l’individu ainsi que les habitudes de comportement qu’il a progressivement intériorisées (par exemple, la manière dont il s’y prend pour résoudre un problème ou faire face à un imprévu dans son travail).

  1. Liés à l’Environnement (E).

Ils concernent les caractéristiques de l’environnement social et organisationnel de l’individu: les contraintes que les collègues, l’entreprise ou le marché lui imposent, les stimulations que ces environnements offrent à l’employé.e et les réactions qu’ils opposent à ses comportements.

 

Comment manager concrètement le «sentiment d’auto-efficacité»

Vous savez maintenant que le «sentiment d’auto-efficacité» est un bon prédicteur de la performance future d’un.e employé.e. il reste à voir comment vous pourrez manager ce sentiment. Gérer un sentiment n’a bien sûr rien d’évident. Cependant il ne faut pas oublier que le management du type «carotte-bâton» est inefficace. Alors même si manager un sentiment vous semble délicat, les recherches en psychologie comportementale ont au moins montré que cela peut être efficace.

De plus, Bandura nous fournit quelques pistes pour manager le «sentiment d’auto-efficacité» avec les trois leviers suivants:

1. À partir des expériences passées:

Lorsqu’un individu a, par le passé, déjà atteint l’objectif que l’on est en train de négocier avec lui, il a le plus souvent un fort sentiment d’auto-efficacité. Il pense généralement qu’il va être capable de l’atteindre à nouveau.

2. À partir des expériences qui sont proches des expériences passées:

Le sentiment d’auto-efficacité se diffuse aussi sur d’autres objectifs qui sont proches de ceux qui ont déjà été atteints. Bien sûr, une personne peut faire des erreurs dans son évaluation des objectifs nouvellement visés. Elle peut également être très éloignée des expériences passées faisant en sorte que la performance ne soit pas assurée.

Cependant, les recherches ont montré que dans la majorité des cas, les employé.e.s évaluent correctement leur capacité à atteindre des objectifs nouveaux ou différents de ceux qu’ils ont déjà atteints dans le passé.

3. Par l’observation des autres employé.e.s lorsqu’ils-elles travaillent pour atteindre un objectif donné:

Bandura utilise le terme d’apprentissage «vicariant» pour désigner le fait qu’on construit son propre sentiment d’auto-efficacité en observant et en copiant le comportement des employé.e.s qui sont déjà capables d’atteindre l’objectif que l’on poursuit.

 

Quels conseils retenir pour tirer parti de ce levier de performance? 

Utiliser ce levier de management n’est pas simple, mais il a de multiple fois montré qu’il est efficace. À cet effet, Bandura nous indique aussi qu’il repose sur des actions relativement simples, bien qu’on les trouve assez peu souvent réunies dans les politiques Ressources Humaines des entreprises.

Le management du «sentiment d’auto-efficacité» constitue donc une voie particulièrement riche et à priori plus efficace que les incitatifs externes, pour guider les employé.e.s vers leur montée en performance future dans l’entreprise (2).

Pour gérer le sentiment d’auto-efficacité des membres de son équipe, un manager peut s’appuyer sur les leviers suivants:

L’auteur de cet article, Ewan Oiry est enseignant à l’ESG-UQAM. Il est chercheur, et auteur de nombreux articles touchant la gestion des ressources humaines. Il est aussi l’expert qui guide les recherches RH-IA de Neuligent. À ce titre, il siège sur le CA et le comité scientifique. M. Oiry supervise les projets touchant les sciences du comportement et de la RH, dont la psychométrie 360 assistée en Intelligence Artificielle de Neuligent.

 

  1. Bandura, A. (1986). Social Foundations of Thought and Actions: A Social Cognitive Theory.Englewood Cliffs, NJ: Prentice Hall.
  1. Codello, P., Theurelle-Stein, D. (2021), “Developing Soft Skills through Social Learning: A Model Implemented at a Canadian Business School”, in Grasser B., Loufrani-Fedida S., Oiry E. (Eds), Managing competences: Research, Practices and contemporary Issues, New-York: Taylor and Francis, pp.53-70.
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